La Zone de Circulation Restreinte au secours des villes asphyxiées ?
A l’heure où la qualité de l’air en milieu urbain est devenue une préoccupation majeure et où les dispositifs visant à l’améliorer sont légion, l’un d’eux fait régulièrement l’objet de débats et de controverses : les ZCR, ou zones de circulation restreinte. La mise en place de ces zones, qui excluent désormais les véhicules les plus émissifs des centres de Lyon, Grenoble et Paris, s’attire en effet régulièrement les critiques de ses détracteurs. Ce dispositif, dont les bases avaient été détaillées dans la loi Grenelle (elles étaient initialement désignées sous l’acronyme ZAPA – Zones d’Action Prioritaire pour l’Air) n’avait pas à l’époque rencontré le succès escompté. La reprise du dispositif en 2015 dans la loi pour la Transition Energétique et la Croissance Verte (LTECV) a conduit au déploiement de ce dispositif pour la première fois à Paris en 2016 et est appelé à être étendu à de nombreux centres-villes d’agglomérations de tailles diverses d’ici à 2020. Pour que ce déploiement se fasse dans de bonnes conditions, le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (MTES) a livré ses recommandations en octobre 2017 (note du CGDD).
Il existe désormais un nombre conséquent de retours d’expérience autour des ZCR et de nombreuses villes européennes ont déjà expérimenté ce type de restrictions, comme le souligne un rapport ADEME régulièrement mis à jour (notamment par AJBD). Le programme de recherche PRIMEQUAL, lancé en 2011, (programme de recherche inter-organismes pour une meilleure qualité de l’air) étudie par ailleurs les conditions de réussite de ce type de dispositif.
Une ZCR est un moyen parmi d’autres d’améliorer la qualité de l’air, c’est-à-dire de parvenir à une baisse des concentrations atmosphériques de certains polluants en diminuant les rejets qui en sont à l’origine. On appelle polluant atmosphérique tout composé chimique dissout dans l’atmosphère qui a ou peut avoir des effets nocifs sur la santé humaine et/ou sur les écosystèmes. Parmi les plus suivis : les oxydes d’azote (NOx), l’ozone (O3) et les particules fines (PM).
La mise en œuvre d’un ZCR doit passer, avant tout, par une analyse fine de son impact potentiel. En effet, inutile de mettre en place un dispositif contraignant s’il ne concerne que 0,1% des véhicules ! La caractérisation du parc roulant dans la zone concernée est donc une première étape cruciale à l’étude de ce dispositif. La connaissance du parc roulant reste un enjeu fort de politiques publiques.
En effet, si le parc en circulation est bien connu (fichier des immatriculations), le parc roulant (les véhicules effectivement en circulation dans la zone) est plus difficile à appréhender. On connait le nombre de véhicules (comptage), mais plus rarement les caractéristiques de ces véhicules (et donc leur niveau d’émissions).
Des initiatives comme le projet ZAPARC en Île de France (caractérisation du parc roulant par observation vidéo en continu sur plusieurs jours) permettent cependant d’obtenir un comptage plus représentatif. La caractérisation du parc, de même que les chiffres d’émissions unitaires des véhicules, reposent cependant sur des estimations, et la pollution dont il est question reste un phénomène complexe à appréhender rigoureusement. Les sources autres que le trafic routier sont nombreuses (par exemple le chauffage au bois) tandis que la nature et le nombre des polluants en jeu sont suffisamment divers pour rendre complexe la tâche d’attribution des contributions respectives de chaque source à la pollution totale.
Sur les différentes ZCR mises en œuvre, les retours d’expérience font état de résultats nuancés sur la baisse des concentrations en polluants. Si l’exclusion des véhicules les plus anciens (et notamment diesel) se traduit par une diminution globale des niveaux de concentration en particules fines et de black carbon, la tendance est moins marquée pour les NOx sur lesquels on constate au mieux une légère baisse. L’impact d’une ZCR est cependant globalement nul sur les émissions de GES et la congestion puisque la mise en œuvre de la zone accélère le renouvellement des véhicules mais n’en diminue pas le nombre.
Un dispositif contraignant
Corollaire de ce renouvellement accéléré du parc, la ZCR a un coût, tant financier pour les usagers puisque le remplacement des véhicules doit éventuellement être anticipé, qu’économique et organisationnel puisqu’une ZCR bouleverse potentiellement la marche habituelle des activités dans la zone.
Cela pose donc la question cruciale de l’acceptabilité, notamment sociale, d’un tel projet. C’est en ce sens que le CGDD souligne l’importance de multiplier les canaux d’information auprès du public et de privilégier une approche pédagogique afin d’éviter les incompréhensions, le sentiment d’injustice et de discrimination qui peut apparaître auprès de certaines catégories d’usagers. Les restrictions dues à la ZCR devraient idéalement être compensées par une facilitation du report modal, via l’adaptation des transports en commun, des infrastructures dédiées aux modes de déplacement doux, des dispositions facilitant le stationnement et l’autopartage. Il est aussi important d’accompagner les professionnels dans cette transition, via des aides financières ou des dérogations aux règles générales si nécessaire.
Comparer les coûts et les bénéfices
Les retours d’expérience montrent que l’efficacité d’une ZCR dépend largement du respect effectif des restrictions en vigueur. Les collectivités doivent donc se doter de moyens adaptés pour en contrôler l’application, au travers de systèmes de vidéo-surveillance (LAPI) et de contrôles humains (contrôle des papiers du véhicule ou de la présence d’une vignette). Ces opérations représentent un coût opérationnel supplémentaire pour la collectivité mais permettent d’obtenir des taux d’application des règles plus élevés de la part des usagers.
Dans la mesure où les ZCR bien dimensionnées permettent une réelle amélioration de la qualité de l’air, ces coûts sont à mettre en balance avec le coût social de la pollution de l’air : une commission d’enquête du Sénat évalue en effet entre 68 et 97 milliards d’euros par an le coût de la pollution atmosphérique, tandis que l’agence Santé Publique France juge qu’elle est responsable de 48 000 décès prématurés chaque année.
Quelle conclusion tirer alors, sur le déploiement passé et à venir des ZCR ?
S’il est indéniable que les ZCR ont un effet positif sur la qualité de l’air, il n’en demeure pas moins assez limité. Cela tient à ce que ce dispositif n’utilise finalement qu’un seul des leviers à disposition, à savoir la réduction des émissions d’une certaine catégorie de sources, mais non la diminution du nombre de sources elles-mêmes.
Par ailleurs, si le trafic routier est responsable d’une part non négligeable des émissions de polluants, ce n’est pas le seul secteur concerné et des actions sur les autres secteurs émissifs doivent être menées en parallèle (logement, industrie, agriculture).
Enfin, il est utile de rappeler qu’une partie non négligeable des émissions de particules fines du trafic routier, est due à l’abrasion des pneus sur la chaussée, et à la friction des plaquettes de frein contre les disques. En d’autres termes, avec un parc constant en nombre, les émissions de particules vont rester importantes (sur un véhicule diesel Euro 6, les émissions de particules sont à 90% issues de l’abrasion …), même si les particules issues de la combustion sont à ce jour considérées comme les plus nocives.
La ZCR représente donc un outil d’urgence pour réduire les concentrations de polluants dans l’air ambiant mais son efficacité ne peut être que temporaire dans la mesure où elle constitue une réponse relativement ciblée à un problème dont les causes sont plus profondes et multiples. Elle doit donc être complétée d’une politique en faveur d’autres mobilités, moins motorisées en zone urbaine et moins émissives de polluants locaux et gaz à effets de serre.